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25/11/02

Vous pensez à quelqu’un que vous n’avez pas vu depuis des années, quand soudain vous le croisez au détour d’une rue. Vous lisez un article quelconque dans un magazine, et a l’instant ou vous passez sur le mot « kaléidoscope », quelqu’un le dit autour de vous. Au supermarché, vous achetez sans faire attention un produit dont les 6 derniers chiffres du code barres correspondent a votre date de naissance. Et le jour où vous décidez d’annuler votre vol vers New York, c’est le 11 septembre 2001.

Tout le monde a vécu des coïncidences extraordinaires, et tout le monde y a vu un signe au moins l’espace d’un instant. Car l’esprit humain ne peut s’empêcher de donner du sens à des événements inhabituels, surtout quand ils semblent étayer la notion de destin. Pourtant, c’est l’absence de coïncidences qui serait surprenante, voire même improbable : Combien d’événements qui ont une chance sur un million d’arriver sont susceptibles de se produire chaque jour ? Au moins un million. Il y a une chance sur un million pour qu’en tapant dans une balle de golf, vous l’encastriez précisément dans un pot d’échappement. Il y a une chance sur un million pour que les irrégularités de la crêpe au sucre que vous venez de préparer signifient « sucre » en braille. Et il y a une chance sur un million pour qu’en creusant un trou vous tombiez sur un trésor viking, surtout si vous vivez en appartement.

Donc, si l’on s’en réduit à vous-même, il y a déjà une infinité d’événements incroyables qui pourraient se produire en l’espace d’une journée. Mais vous n’êtes pas seul, et le monde est vaste. Ce qu’il faut réussir à se représenter, c’est que la roue des probabilités tourne en permanence, comme une loterie perpétuelle. Au nombre des coïncidences possibles, il faut par conséquent ajouter la notion de durée : Sur 10 ans, il y a plus de chance qu’une météorite s’écrase sur votre voiture qu’en deux jours. Or, quand une coïncidence extraordinaire arrive, vous ne vous étonnez pas qu’elle ne soit pas arrivée plus tôt. Vous vous étonnez tout court.

Il faut se rappeler aussi qu’un événement, s’il est surprenant pour certains, pourra passer complètement inaperçu pour d’autres. Par exemple, si dans un tas de 52 cartes vous tirez au hasard l’as, le roi, la dame, le valet et le 10, vous serez certainement surpris d’avoir fait une quinte. Mais imaginez a présent que vous montriez votre exploit à un Esquimau qui ignore cette hiérarchie. Trouvera t’il la coïncidence aussi surprenante que vous ? Admettons maintenant que l’Esquimau en question ait inventé un jeu de carte dont les règles différent complètement des notres, et dans lequel tirer un 8, un 2, un 5 et un roi constitue un ordre significatif. Partagerons nous son sourire ébahi quand il tirera au hasard la fameuse suite ?
L’exemple fonctionne encore mieux avec le 421. Si vous tirez vos dés 50 fois, vous obtiendrez peut être une fois ce chiffre complètement arbitraire. Mais avez-vous pensé que parmi toutes les combinaisons apparemment insignifiantes que vous aurez les 49 autre fois, certaines seront riches de sens pour d’autres observateurs ? Nous ne sommes pas égaux devant les coïncidences.

Vous pensez fortement à quelqu’un, et il vous appelle soudain au téléphone. Vous etes subjugué dans un premier temps, puis comme ce genre de pressentiments vous arrive tout le temps, vous finissez par croire que vous avez une sorte de fluide. Mais combien de fois avez-vous pensé a quelqu’un sans qu’il vous appelle pour autant ? Et combien de fois avez-vous ouvert un dictionnaire sans tomber exactement sur le mot que vous cherchiez ? Seulement, le jour ou ça vous arrive, vous vous concentrez tout particulièrement dessus, en oubliant toutes les fois ou rien d’étonnant ne s’est passé. Ainsi, en reliant entre elles toutes vos « prémonitions », vous finissez par établir une croyance réelle en vos pouvoirs. Maintenant, essayez plutôt de vous concentrer sur le nombre de fois ou vous ne pressentez pas qui vous appelle. Vous verrez les choses sous un autre angle.

Malgré tout, il arrive dans certains cas que les personnes qui vivent une coïncidence de ce genre dénigrent violemment le hasard. Dans leur livre « Devenez sorciers, devenez savants », Georges Charpak et Henri Broch exposent un exemple particulièrement frappant : Au sortir d’un sommeil agité, vous pensez brusquement a un cousin germain que vous n’avez pas vu depuis longtemps. 5 minutes plus tard, le téléphone sonne et vous apprenez que le cousin en question est décédé dans la nuit. Comment ne pas établir de lien ? Maintenant, analysons la situation de plus près : On connaît, au sens large du terme, une dizaine de personnes dont on apprendra la mort durant l’année (j’ai bien dit au sens large du terme, célébrités comprises). Sur ce laps de temps d'un an, on va dire pour diminuer encore les chances qu'on ne pensera qu'une seule fois a chacune d'elles. Concentrons nous à présent sur une de ces 10 personnes: Quelque part dans l’année se situe le fameux instant ou nous penserons a elle. Comme une année représente 105 120 intervalles de 5 minutes, nous avons une chance sur 105 120 pour apprendre son décès durant les 5 minutes où se situera notre pensée. La probabilité est donc très faible, et le hasard ne semble pas avoir de place dans une situation pareille. Mais avant toute chose, commençons par ajouter à notre calcul les 9 autres personnes dont on apprendra le décès au cours de l’année : 1 chance sur 105 120 multipliée par 10 personnes = 10 chances sur 105 120, soit 1 chance sur 10 512 pour que l’on pense au moins à une de ces dix personnes durant les 5 minutes ou elle moura.
Vous remarquerez, et vous aurez raison, que ça reste toujours très faible. Mais souvenez vous a présent que vous n’etes pas seuls, et que sur le seul espace français, 55 000 000 d’êtres humains pensent aussi, tout comme vous. 55 000 000 divisé par 10 512 = 5232.
Chaque année, rien qu’en France, il y a donc environ 5000 personnes qui décrochent la fameuse chance sur 10 512 de penser a quelqu’un 5 minutes avant d’apprendre sa mort. Soit une dizaine de cas par jour. Autant dire que ce qui est réellement impossible dans cette histoire, c’est de ne pas trouver au moins une personne dans votre entourage a qui ça n’est pas arrivé.

Je voudrais finir en parlant de la chance. Je pense qu’a l’instar du destin, la chance n’est que l’interprétation humaine du hasard. Il est très facile de faire parler les coïncidences, et lorsque celles-ci prennent une connotation positive, qui varie en fonction des valeurs, on parle de chance. Mais observons un dernier exemple : Admettons qu’on réunisse 36 cobayes munis de dossards numérotés. On tire un chiffre entre 1 et 36 dans une boite, et on décide que le numéro désigné gagnera 100 000 €. Le vainqueur sera sans doute considéré comme un sacré veinard n’est ce pas ? Considérons maintenant une roulette de casino : elle comprend également 36 chiffres. Il y a 100 000 € de mise sur la table, et on lance la roue. C’est le 25 qui sort. Qui pensera que ce numéro a eu de la chance ?

Pensées

 
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