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05/01/03

Cette histoire invraisemblable m’est arrivée en 1998. Elle débute un soir ou je m’entretenais de phénomènes paranormaux avec quelques amis. Chacun y allait de son anecdote étrange, qu’elle relevât de l’expérience personnelle ou non. Pour ma part, n’ayant jamais vu le moindre fantôme ni même le plus petit ovni, je me contentais de rapporter les témoignages troublants que j’avais pu lire ou entendre. Puis soudain, la jeune fille du groupe qui était restée silencieuse jusque la se mit à parler : elle s’appelait Caroline*, et correspondait parfaitement a l’idée qu’on peut se faire d’une walkyrie. Ses cheveux très longs et très blonds achevaient le portrait entamé par sa carrure pour le moins nordique, et elle écoutait du black métal. Je la connaissais depuis peu de temps, et je m’attendais à une histoire banale, dans la veine des précédentes. Pourtant, mon attention fut très vite captivée : cette fille était en train de nous expliquer que depuis sa plus tendre enfance, elle vivait au rythme des phénomènes inexplicables qui se produisaient dans sa maison. Régulièrement, par exemple, elle entendait frapper, gratter, voire susurrer à la porte de sa chambre sans qu’il n’y ait jamais personne derrière. Des courants d’air froid lui passaient dans la nuque quand elle montait l’escalier, alors que tout était fermé. Le chien de la famille, quand il était encore vivant, hurlait souvent à la mort sans explication. Et pour étoffer le tout, des objets changeaient mystérieusement de place. Ces histoires lui semblaient si familières qu’elle nous en parlait avec un ton presque désabusé. Devant notre incrédulité, elle nous proposa de venir un soir chez elle. Et c’est ce que nous fîmes 3 jours plus tard, armés d’une caméra et de quelques frissons.

Je crois que c’était un samedi. Nous étions 4 amis entre 17 et 19 ans dont un seul avait son permis de conduire, Mathieu. A l’arrière de la voiture, Damien tenait la caméra, et Nicolas imaginait les scénarios les plus caricaturaux possibles. La réalité parvint pourtant à faire encore plus « série b » que lui : Sitôt arrivés devant le portail de Caroline qui habitait dans un sombre recoin de campagne, la voiture cala. Comme pour nous faire un signe. La scène ressemblait tellement à un mauvais épisode de Scoubidou que tout le monde se mit a rire, mais sur l’instant, personne n’aurait avoué que c’était surtout pour se rassurer. Une fois la voiture remise en marche, nous avançâmes le long de l’allée bordée d’arbres qui aboutissait à la fameuse maison. Et nous vîmes alors un vieil édifice de pierre auquel il faut bien donner son nom : un manoir. Nous allions passer la soirée dans un manoir. Je préfère vous dire des maintenant que la liste des clichés ne fait que commencer…

Ce n’est pas Caroline qui nous ouvrit la porte, mais sa mère, une femme imposante vêtue de noir qui se présenta d’une façon plutôt théâtrale dans mon souvenir. Elle nous fit rentrer dans le salon, et je crus alors me retrouver chez la famille Addams : les murs étaient recouverts de portraits d’ancêtres tous plus inquiétants les uns que les autres, de ces tableaux qui semblent vous suivre du regard. Divers instruments de torture anciens étaient disposés sur la cheminée, quant à l’ambiance sonore, elle était assurée par une cassette ou étaient enregistrés hurlements de loups et bruits d’orage. Je tiens à rappeler que je n’invente rien, j’ose espérer avoir plus d’imagination que ça. Quand Caroline nous rejoignit enfin, nous nous attendions à ce que sa mère nous laisse. Mais elle resta. Elle voulait savoir ce que nous attendions de sa demeure. Nous nous assîmes autour d’une grande table au centre de la pièce, et je m’aperçus avec frayeur qu’il y avait dans l’ombre juste à coté de moi une vieille poupée cassée dans un landau ancien. Si vous avez lu mon texte sur les poupées, vous devez connaître mon aversion pour ces démons de plastique. Et celle-ci remplissait tous les critères d’horreur propre a son genre : elle était désarticulée, sale, antique et possédée par cette aura silencieuse caractéristique. Devant ma surprise, la mère crut bon de mentionner : « c’est ma poupée, elle ne te plait pas ? Elle a presque mon age. » Cette dernière précision acheva de me rendre nerveux.

Comme la situation avait pris une tournure imprévue, Mathieu qui était alors versé dans l’occultisme demanda à la maîtresse de maison s’il était possible de faire une séance de spiritisme. Elle nous répondit que c’était inutile, car il lui suffisait d’appeler les esprits quand elle voulait leur parler. Ce fut peut être le détail qui me fit définitivement comprendre que nous étions tombés sur une famille « à part ».
La séance commence malgré tout, avec un verre et des lettres disposées en cercle. D’habitude, dans ce genre de situation, il se passe toujours au moins quelque chose. Quelqu’un pousse le verre inconsciemment ou non, et les autres le suivent apportant de l’ampleur au mouvement. S’ensuit alors une succession de lettres « désignées » par le verre auxquelles on prête diverses interprétations. Mais ce soir la, malgré le contexte propice à l’autosuggestion, il ne se passa rien. Strictement rien. Et c’est a ce moment la qu’une scène mémorable se déroula : J’étais assis en face de l’escalier, et je vis apparaître un vieillard qui descendait les marches très doucement. Il se cramponnait à la rampe, et son état n’était manifestement pas brillant. La mère se releva, et nous présenta le « maître de maison ». Une fois en bas de l’escalier, il lui fallut peut être 30 secondes pour parcourir les 3 mètres qui le séparaient de la table. Parce qu’en plus de marcher lentement, il marchait en travers. Et il tremblait. Ce personnage improbable qui sortait de nulle part, c’était tellement parfait dans le décor que j’ai senti le fou rire s’insinuer en moi. Mais il était hors de question que je craque, bien évidemment. En regardant autour de moi, je m’aperçus que Damien était également sur le point d’exploser, ce qui n’eut pour effet que d’amplifier ma douleur. L’épreuve la plus intense fut sans doute le serrage de main que le vieillard nous octroya de trois quart face en gigotant comme une truite hors de l’eau, mais nous parvîmes à tenir le coup jusqu'à ce qu’il reparte comme il était venu.

Cet épisode terminé, la mère nous parla de la forêt qu’on pouvait voir à travers la fenêtre et qui bordait la maison. Cette forêt avait soi disant été le théâtre de massacres païens, et on pouvait y voir selon elle quelques lueurs étranges virevolter une fois la nuit tombée. Comme pour mieux appuyer ses dires, elle demanda à sa fille d’apporter le « fémur ». Et ainsi, nous vîmes Caroline sortir un fémur humain du buffet comme s’il s’était agi d’une tasse à café. Cet os avait été trouvé lors de fouilles organisées dans le bois, et ils l’avaient gardé comme un trophée. Comme jusqu'à présent il ne s’était rien passé de réellement étrange malgré le cadre adéquat, et que la caméra n’avait pas encore servi, nous décidâmes d’aller explorer le fameux bois, non sans subir la désapprobation insistante de la mère. Accompagnés de Caroline, nous sortîmes donc équipés de lampe torches au milieu des arbres endormis. Habituellement, pour peu qu’on ait un minimum d’imagination et de films d’horreur a son actif, la moindre branche, le bruit le plus infime ou la plus petit ombre qui bouge dans une forêt devient un monstre potentiel. Mais cette nuit la, malgré le conditionnement et comme pour le spiritisme, il ne se passa rien du tout. On s’imaginait déjà voir capturés sur la bobine magnétique des fantômes invisibles a nos yeux, mais non, rien de plus. Alors finalement, l’exploration des bois hantés devint vite une simple promenade nocturne, et nous revinrent tranquillement à la maison, déçus et soulagés a la fois.

Quand la mère nous accueillit, ce fut avec stupéfaction. Elle semblait encore plus déçue que nous. Alors elle demanda à sa fille de nous amener au vieux monastère, qui se trouvait à un bon kilomètre de la. Et une fois encore, elle n’oublia pas de nous briefer : selon ses dires, 6 moines s’étaient donnés la mort dans le monastère en question. Il était à peu près une heure du matin quand nous arrivâmes devant l’imposant bâtiment, et j’avoue avoir été assez secoué de voir des lumières à l’étage! Mais avant que j’imagine quelques spectres monastiques, Caroline nous expliqua qu’il s’agissait de propriétaires étrangers. La véritable surprise de l’endroit, j’hésite même à la mentionner tant elle peut paraître énorme. Pourtant, ce n’est que la stricte vérité : A coté de l’édifice, il y avait un large bassin en forme de…cercueil ! La, perdu dans un coin de province, un improbable cercueil liquide ! Je m’attendais presque à voir Bela Lugosi prendre son bain de minuit tant le décor était « Hammeresque ». Apres quelques instants passés à regarder les reflets de la lune à la surface de l’eau qui semblait cacher quelque monstre marin, nous rentrâmes de nouveau vers la maison, bredouilles mais sidérés.

Cette fois ci, la mère entreprit de nous faire visiter l’étage, et il n’avait rien à envier au rez de chaussée : en haut de l’escalier nous attendait une corde de pendu attachée au plafond. Cette coutume ancestrale protégeait la bâtisse du mauvais œil d’après la mère, ravie de l’effet produit. Mais comme si ça n’était pas suffisant, il y avait aussi une hache de bourreau accrochée contre un mur. A l’inévitable question « est elle authentique ? », Morticia Addams s’empressa de répondre par l’affirmative en précisant qu’elle l’avait acquise chez un antiquaire et qu’elle avait servi. L’atmosphère devenait malsaine. Enfin, elle nous montra sa chambre dans laquelle trônait un horrible portrait d’une taille impressionnante qui représentait une femme infiniment lugubre. Les ancêtres du salon paraissaient presque chaleureux en comparaison. Quand je lui demandai s’il s’agissait d’une parente, la mère nous expliqua qu’il n’en était rien, simplement, elle trouvait le tableau fascinant. J’espérais intérieurement ne jamais avoir à dormir dans cette pièce.

Elle continua sa visite guidée en redescendant pour nous montrer une armoire : celle ci contenait divers accessoires macabres pour Halloween, quelques masques et figurines, mais aussi la collection familiale de cassettes vidéos. Et c’est alors qu’un détail idiot me fit l’effet d’un déclic : il y avait la tous les épisodes de X-files. En un instant je compris tout : la mise en scène grand guignolesque, le décor, les objets, l’atmosphère, la foret, les esprits, tout ceci était soigneusement entretenu comme un fantasme sordide par une femme étrange qui ne pouvait plus vraiment compter sur son mari grabataire pour la faire vibrer. Je voyais soudain les portraits d’un autre œil, de même que la poupée ou les armes, autant d’accessoires factices dans une maison hantée de fête foraine que la mère avait mis des années à peaufiner, allant j’en suis sur jusqu'à faire les bruits étranges dont sa fille nous avait parlé.
En repartant dans la voiture, nous étions tous un peu déçus de ne pas avoir filmé quoi que ce soit de bizarre, malgré toutes les promesses qu’un tel décor offrait. Mais avec le recul, ce que je regrette vraiment aujourd’hui, c’est de ne pas avoir filmé l’intégralité de la soirée : je pense que ça aurait pu faire un fabuleux épisode de Strip tease.
..

*Toute l'histoire est rigoureusement vraie mis a part ce prénom, que j'ai préféré changer.

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