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Mise a jour: 28/10/02 Dernieres entrées: Elephant man... |
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Elephant man
David Lynch / 1980
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Je
me souviens de ce soir la comme s'il venait de passer. J'avais 13
ans, peut etre 14, et je voulais voir Elephant man comme on
entre dans une baraque à phenomènes, avec cette fascination qu'engendre
la monstruosité. Je m'attendais à quelques moments d'effroi, quelques
frissons qui occupperaient le temps me séparant du sommeil, mais
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les choses ne se passèrent pas comme prévu: A la fin du film, je restai paralysé. Le générique défila entierement devant mes yeux, infectant ma chambre de son insoutenable theme. Puis les programmes de la nuit lui succederent. Quand je sortis finalement de mon traumatisme, de la neige tombait sur l'écran. Des heures tourmentées qui s'ensuivirent, je garde ce reve: Sur une table d'auscultation, il y avait un homme dont la colonne vertebrale et les cotes étaient à nu. Entre son visage de Lord victorien et ses jambes, il n'était qu'un squelette lisse. Et la, couché sur la table, il demandait au docteur si c'etait grave. Je dois préciser que le choc persista un mois complet. Un mois pendant lequel chaque jour, des scenes venaient me hanter, un mois pendant lequel je regrettais d'avoir vu Elephant man. Jamais je n'ai ressenti quelque chose de tel a cause d'un simple film. Aujourd'hui encore, il m'arrive de penser a la démarche de John Merrick avant de m'emdormir. Mais je ne regrette plus d'avoir vécu aussi fortement une oeuvre, meme si je sais qu'il me faudra du temps avant de la voir a nouveau. Pour ceux qui l'ignoreraient encore, l'histoire de l'homme éléphant est authentique. John Merrick vivait en angleterre au début du siècle, et son squelette entreposé au Muséum de Londres est encore étudié avec fascination par des spécialistes du monde entier car les difformités qu'il présente restent uniques dans l'histoire de la médecine. Meme un siecle apres sa mort, Elephant man reste donc exposé comme un monstre à la vue de tous. Mais si la science n'a pas su lui offrir la dignité qu'il méritait, David Lynch s'en est occupé. Le film commence par un reve brumeux qui rappelle déja qu'on est chez le créateur d'Eraserhead. Puis le décor s'installe, une Angleterre victorienne en noir et blanc faite d'ombres et de brouillard dans laquelle Jack l'éventreur sévit probablement. Dans mes souvenirs, il y a cette fete foraine et sa musique immédiatement malsaine. On y voit un montreur de phenomenes arranguer les badauds. Puis la fete est finie. La créature est par terre, mais on ne la voit pas. On entend sa respiration maladive. Le forain la frappe, l'insulte. Il tient cependant a son gagne pain, alors il fait venir un medecin. Et la bete se retrouve a l'hopital. A partir de la, c'est une succession de scenes a la fois déchirantes et sublimes, atroces et délicates. On y voit la silhouette de l'homme éléphant se découper en ombre chinoise, on y découvre le Dr Fredrick Treves qui devinera l'homme sous le masque informe, et surtout on découvre l'aspect de John Merrick au terme d'un insupportable jeu de cache cache mélé de bruits étranges. Progressivement, on se prend d'un véritable amour pour celui qui nous effrayait avant que l'on entende sa voix infiniment douce. On veut croire que son calvaire est terminé quand le Dr Treves devenu son ami l'installe dans une chambre sans miroir, et on voudrait que le film se termine quand John repete son role d'humain a part entiere en tendant sa main valide a un interlocuteur invisible. Mais on sait au fond de soi que dans un monde ou la chair pese bien plus que l'ame, un monstre reste un monstre, et c'est les larmes aux yeux que je repense a cette insoutenable scene ou la désillusion que l'on redoutait tant s'exprime dans toute sa cruaté infame, lorsque les ivrognes penetrent dans la chambre de l'homme éléphant. Allongé de force, il suffoque sous le poids de son crane demesuré. Nous avec lui. Quand il le voit pour la premiere fois, le Dr Treves prie pour que l'homme éléphant soit débile, ou du moins inconscient de son calvaire. Mais c'est justement un etre d'une qualité rare que renferme l'enveloppe grotesque, et chaque mot, chaque acte de John devient un déchirement. Le symbole de cet horrible paradoxe est une maquette de cathedrale que John assemble patiemment de sa main gauche, seule partie de son anatomie epargnée par le mal. Ne voyant que le toit du batiment a partir de la fenetre de sa chambre, il imagine le reste, et la finesse de cette oeuvre qui peut etre encore aujourd'hui admirée ne peut qu'ajouter a l'immense peine que la vie de John Merrick évoque. Parmi les scenes devenues classiques, il y a cet épisode authentique durant lequel John prend le bateau apres s'etre enfui de sa prison foraine. Quand des voyageurs lui arrachent son masque de toile qui ne lui donne pour tout visage qu'un trou irrégulier, il court aussi vite que son faible corps le lui permet pour échapper a la haine aveugle que sa seule existence suscite. Et c'est encerclé par les hommes devenus betes qu'il revendique son humanité dans un hurlement de desespoir. Dans un registre plus insidieux, on peut évoquer la visite que reçoit John d'une Diva renommée. Devant la pitié ambigue de cette femme qui va jusqu'a lui dire qu'il est beau dans un exces de compassion narcissique, on a l'impression que l'homme éléphant présente un miroir expiatoire a la belle société. Ainsi, quand on voit les autres lui témoigner autre chose que de l'hostilité, on ne sait jamais vraiment si c'est pour lui ou pour eux memes. C'est pourtant cette meme diva qui lui offrira le plus beau moment de sa vie lors d'un opéra sublimé par Lynch, apres lequel l'homme éléphant preferera se donner la mort sachant que tout ce qui suivra ne pourra etre que pire. Cette ultime scene dont l'infinie tristesse est encore exacerbée par l'Adagio de Barber reste avec le s.o.s de "Johnny got his gun" un des moments les plus éprouvants de toute l'histoire du cinéma. Lynch va jusqu'a lui conferer une portée cosmique lorsqu'a travers une myriade d'étoiles on entend la mere de John Merrick apprendre à son fils que "rien ne meurt jamais"... Plus qu'un plaidoyer pour la tolérance, plus qu'un film dont la beauté visuelle transcende les accents expressionistes, plus qu'un chef d'oeuvre délicat et grave, Elephant man est un de ces films qui justifie l'existence du cinema, ne serait ce que pour l'intense bouleversement qu'il provoque. Et par dessus tout, il offre l'eternité a John Merrick, pour lequel chaque larme versée sera un hommage. Rien ne meurt jamais John. Rien ne meurt jamais. |
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